samedi 25 février 2012

Gallimard


- Quoi que l'on fasse, la vie nous échappe. Parfois brutalement, d’un seul coup, net et sans bavure. D’autres fois, la perte de contrôle sur tout ce qui nous entoure est plus lente, plus insidieuse et, à force de faiblesses renouvelées, on finit par se perdre soi-même. Ainsi, en ce début des années quatre vingt dix et avec le numéro 154 du « Miroir Obscur », le rideau venait de se refermer sur dix années de ma vie. C’est alors qu’on me demanda d’illustrer les couvertures pour la réédition des James Hadley Chase. Moi, je l’avais toujours eu à la bonne, ce type. Je l’avoue, j’avais fait connaissance avec le Roman Noir par son entremise. Le gratin (Chandler, Hammet, Mc Coy et Burnett) ça vînt par la suite. Sans doute le lecteur l’aura-t-il noté, j’ai toujours aimé les histoires avec des cinglés et, avec Miss Blandish, ça avait été le coup de foudre ! Du coup et à cette proposition d’intégrale de James Hadley Chase, j'ai pensé: « Chic! Je vais pouvoir dessiner plein de timbrées aux instincts meurtriers et de tueurs sociopathes. En plus, ça va m'aider à me remettre de la disparition des Editions NéO ! »
Enthousiasme, j’envoyai une longue déclaration d’intention au Directeur Artistique. Je m’en souviens très bien, cela se faisait par FAX: un rouleau entier que je lui avais tartiné…
Et puis tout a tourné de travers.
- Cependant, vous avez continué à prendre la monnaie et à mettre votre mouchoir sur le reste : « Take The Money and Run »?
- C’est plus compliqué. Comme le mystère de ce dessin qui ne fut pas publié. Plus tard, je l’ai appelé « DOLCE VITA » car, dans ma tête, la conductrice était au volant d’une Alfa Romeo Spider Duetto.
- La vraie, celle que l’on nomme « Osso di seppia » ?
- What's else ?

« Un Tueur passe »


- J’en étais certain ! - s’exclama l’auteur.
- Seigneur ! Et de quoi donc ?
- Du fait selon lequel j’avais bien illustré « Un Tueur passe » de Rene Brabazon Raymond, plus connu sous le pseudo de James Hadley Chase.
- Montrez moi ce que les graphistes en avaient fait ?... Oh ! C’est particulier mais j’imagine que cela a son charme !
- Sans doute vous demandez-vous pourquoi j’ai accepté ces interprétations de mon travail ?
- Pour l’argent, pardi !
- En partie. Mais, d’autre part, au début des années quatre vingt dix, les maquettismes ou les graphistes me dirent en chœur, et de tous côtés, que mon style était révolu. Il convenait, qu'ils affirmaient, de donner un bon coup de peinture à mes machins tout tristes, en noir et blanc.
- Naturellement, vous vous êtes interrogé sur le bien-fondé de ces remarques ?
- J’ai même douté de moi-même.
- Et, du coup, vous avez laissé faire pour voir ce que cela donnait. Je comprends. Mais n’aurait-il pas été plus simple que vous vous en occupiez vous-même ?
- C’est que, dans un premier temps, je suis passé à côté de la révolution informatique... Certains me parlaient de cette machine mais je les moquais. Je me croyais encore du temps de Norman Rockwell ou de J-C Leyendecker et pensais que je pourrais dessiner le même genre de trucs toute ma vie !
- Rêveur, va ! Mais pourquoi utilisiez-vous de grosses trames Mécanorma ?
- C’est que les graphistes avaient préféré, à des dessins originaux, la reprise de certaines de mes vignettes collectées dans « Magnum Song ». J'en avais déduit que, ce qui avait toutes leurs faveurs, c’était le côté mécanique d’une impression « SIMILI ».
- Et c’est la raison pour laquelle vous avez exagéré cet effet de trame ? Vous êtes décidément très complaisant.
- C’est que l’on me paye pour plaire. Hélas, mes efforts ne sont pas toujours reconnus...

James Hadley Chase


« Gloomy Sunday »
- Rappelons que ce titre est affectueusement surnommé « Le morceau suicidaire hongrois », ayant été composé par un certain Rezső Seress et qu’il traîne derrière lui une sombre réputation, comme celle d’avoir été interdit dans les boites de Budapest, lesquelles craignaient de voir leurs clients se précipiter, après l’avoir entendu, dans le Danube… Et ce tueur qui passe, c’était pour quel machin ?
- Dans mon crâne de piaf, ce dessin avait été justement réalisé pour le titre : « UN TUEUR PASSE », un James Hadley Chase. Mais c’était, vérification faite, pour « Méfiez-vous, Fillettes » du même auteur. Le résultat reste cependant le même car il devint ceci :

« BANC DE REPRO »


Où l’auteur se perd dans des explications techniques.
- Il y a une éternité, c’était le siècle dernier, les photograveurs reproduisaient les originaux avec ce que l’on appelait alors un « BANC DE REPRO ». Imaginez une sorte de gigantesque appareil photographique tourné vers le plancher sur lequel était posé le dessin, solidement mis à plat. A l’autre bout de la bécane, semblable à une chambre photographique, on posait tel un « PLAN-FILM », un négatif au format de publication, la plupart du temps un 21x27.
On pouvait y faire du « TRAIT » ou du « SIMILI » avec des trames 133, la plupart du temps. C’était un procédé fastidieux pour les techniciens mais très satisfaisant pour l'illustrateur.
Puis vint le scanner rotatif sur lequel le technicien fixait des dizaines d’« EKTAS » qu’il clichait à la volée. Une authentique catastrophe car , à la dérive chromatique causée par la nature même de chaque émulsion s’ajoutait le passage d’un format 21x27 (centimètres) à 24x36 (millimètres !).
Enfin, j’ai découvert la reproduction numérique. Je me souviens que j’allais jusqu’à Cadenet où l’on prenait plusieurs clichés que l’on assemblait avec « Photoshop ». Le nom est prononcé. Il y eut un avant « Photoshop » et un après « Photoshop ».
Arrivé à ce point, il faut que je donne une précision. Le truc, pour un dessin en « Noir & Blanc », c’est d’obtenir des noirs profonds sans être bouchés, des blancs lumineux qui ne soient pas grillés et, entre les deux et c’est le challenge, toute une infinité de gris, du plus léger jusqu’au plus soutenu. J’eus une sorte de révélation lors d’une photogravure réalisée pour le compte d’ « Albin Michel » : MAGNIFIQUE. Le chef de fabrication m’expliqua que cet heureux résultat était du à un procédé appelé la BICHROMIE.
- Bien sûr, suis-je bête ! - Ai-je dis en prenant l’air du type qu’avait toujours su mais qu’avait eu, inopinément, un trou de mémoire.
Bien des années plus tard, sur un de mes logiciels de retouche, je retrouvai, dans un onglet, cette fonction : « BICHROMIE ».
Miracle !
Du coup je traite toutes mes reproductions avec cette fonction qui donne, à mes « noirs et blancs », une palette de valeurs qui se rapproche de l’original. Et je traite les couleurs d’appoint sur un deuxième calque…
- Et, par exemple, cela donne cette nouvelle couverture ?
- Un roman de Gilles Del Pappas, « Troublante incertitude» et publié chez « Rivière blanche, un éditeur qui renoue avec bonheur avec les jaquettes qui ont ma préférence.
- Celles qui sont réalisées à la main : vous prêcher pour votre propre paroisse !

Le Proconsul Pétrone


- Alexandre Arnoux écrivit : « Même borgne, aveugle, sourd, noué, l'homme est encore une bête de stupre » - Qu’elle avait dit au sujet l’image précédente - Mais ici, votre personnage serait plutôt de l’école du Proconsul Pétrone, lequel s’exclamait volontiers, après l'amour: « Le plaisir que l’on a dans le coït est écœurant et bref et le dégoût succède à l’acte de Vénus ». Ah, le misérable : c’était très indélicat pour ses partenaires !
- J’image qu’il était assez futé pour formuler son opinion « IN PETTO ». Mais ce n’est pas là l’objet du découragement de Charles. Non! Non! Il vient de lire de mauvaises critiques quant à ses méthodes. Brisé, il raconte : « Le lendemain figurait au nombre des jours à marquer d’une pierre noire. Car la presse avait été particulièrement négative. La critique la plus fréquente stigmatisait mon absence de raffinement dans l’exécution de ma campagne vengeresse ! Je ne pouvais que me soumettre : ces exécutions sommaires, au parabellum, m’assimilaient bien aux méthodes stakhanovistes du syndicat du crime »...
- Vous jouiez très bien le désespoir. A quoi songiez-vous pour avoir une telle mine?
- Je me suis souvenu de la première fois où j’ai été confronté à la reproduction de mon travail : « J’arrête tout ! » que je me suis exclamé.
- Une réaction très excessive.
- Mais qui se justifiait.
- Vraiment ?
- Je vous explique. Nous travaillons presque toujours, dessinateurs ou illustrateurs, sur des formats beaucoup plus grands que ceux de la publication. En ce qui me concerne, du format demi-raisin pour les couvertures et du format raisin pour les planches apparentées à la BD ou pour les affiches. Alors évidemment, ramené aux dimensions d’un livre, ça change drôlement la perspective ! Ensuite, ce n’est pas qu’on s’y habitue, mais c’est plutôt qu’on s’en fait une raison…
- Il y a un truc qui me turlupine.
- Ah ! Quoi encore ?
- Votre personnage a encore changé d’arme pour se tirer une balle dans le ciboulot: un P38, n'est-ce pas ?
- Un Walther P38 ? Ah, oui. Très curieux…

LUCRÈCE


Charles Neville, un pauvre timbré qui se croit victime de l’imbécillité béate de ses contemporains, vient d’apprendre, de la bouche même de la Gorgone qui accueille les clients de « L’Ile aux Dames », que Mlle Elizabeth Mussard, ou plus simplement Lizzie, est tenue pour une sainte auprès des garçons bouchers et des forts des halles, envers qui elle se dévoue, chaque nuit, après le turbin… Charles raconte : « La Gorgone me fit les honneurs d’un cabinet obscur où, à travers un miroir sans tain, je pouvais à loisir évaluer les aptitudes et les qualifications professionnelles de Lizzie ».
- Là - Dit l’auteur (le vrai, celui qui écrit ce journal) - Je pourrais dire un truc du genre : « Les yeux sont les portes ouvertes par où entrent les vices qui contaminent l’âme… » Comme dit le psalmiste…
- Ta ! Ta ! Ta ! Ne gâtez pas des joies simples : la suite des images se suffit à elle-même et il n’est pas nécessaire de l’éclairer à la lueur d’une maxime pompeuse.
- Puis-je cependant révéler que Pignon éprouvera ce que nous l’enseigne LUCRÈCE : « MEDIO DE FONTE LEPORUM SURGIT ». Une phrase que l’on peut traduire ainsi : « Au cœur de la source des plaisirs jaillit quelque chose d'amer qui, au sein même des délices, vous reste dans la gorge »...
- Ma foi, si vous tenez à perdre tous vos lecteurs ! Mais dites-moi : je n’insisterais pas sur la facilité qui consiste à représenter des scènes vouées au stupre, mais, par contre, je dois dénoncer ici une faute grossière de raccord.
- Vraiment ?
- Je vous assure. Tout d’abord, Charles Neville charge le barillet d’un « Smith & Wesson » modèle 19 en deux pouces et demi. Puis il déquille tous ceux qui lui ont fait de l’ombre ou du tord avec un rare « Lüger Artillery ». Et là , c’est un 44 Magnum qu’il défouraille : ce n’est plus un homme, c’est une véritable armurerie ambulante à lui tout seul!

jeudi 23 février 2012

La Gorgone


Charles Neville a, dans son collimateur, Gérard Pignon, un présentateur de TV qui lui a posé de mauvaises questions. Pignon était un homme réglé comme une montre suisse : après chaque émission, il se rendait au « L’Ile aux Dames », un établissement dont la bonne tenue faisait l’unanimité, en tous cas auprès des gentlemen exigeants.
- Alors, mon prince : on est venu chercher de la distraction ? - lui demande la Gorgone qui garde l’entrée de ce lieu hautement culturel.
- Je souhaiterais assister à la prestation de Mlle Elizabeth Mussard ou plus simplement Lizzie : l’écho de ses talents est parvenu jusqu’à ma tanière…
- Ah, Monsieur : comme il est agréable d’avoir affaire à un connaisseur. Suivez-moi donc… Savez-vous que la vie de Mlle Mussard relève du sacerdoce : chaque nuit, elle déambule parmi les pavillons Baltard, se dévouant auprès des garçons bouchers et des forts des halles.
- Des corporations qui la vénèrent telle une image sainte.

Gérard Pignon


« L’Ile aux Dames », donc. Charles Neville, un détraqué aigri, pense que le monde de l’édition tout entier a conspiré à sa perte. Il accepte l’idée d’être un homme artistiquement fini mais souhaite cependant emporter dans l’oubli tous les responsables de sa déchéance. Ainsi Gérard Pignon qui animait chaque semaine une scandaleuse pitrerie télévisuelle. La plupart des ouvrages dont il invitait les auteurs infestaient ensuite les rayonnages des librairies. Pignon avait fait de l’art une authentique imposture ou les plumitifs vendaient plus sur leurs apparences que grâce à leurs talents littéraires. Car les vrais auteurs, arrachés à la sérénité de la retraite où sommeillent leurs écritoires, bredouillent d’incompréhensibles bribes de pensées, cloués par l’incandescence des sunlights et semblables à de majestueux oiseaux de nuit aveuglés par les phares d’une vulgaire automobile…
Pressé par son éditeur, Neville se rendit à l’enregistrement de l’émission où Pignon le déstabilisa par des questions oiseuses ou sottes. Jamais il ne put témoigner de sa grande intelligence, ni de sa finesse psychologique à nulle autre pareille. Ceux qui virent l'émission se rappellent simplement qu'il émit surtout des soupirs semblables à ceux d’un canard à l’agonie.
Vengeance !

« A rebours »


- Mais - commença-t-il - avant de pénétrer dans ce Temple consacré à la beauté, « L’Ile aux Dames » je veux dire, revenons aux inspirations d’Oscar. Cela nous amène à faire un détour par le « Paris-Fripon »…
- Une boite de strip-tease, un autre haut-lieu culturel, selon votre échelle viciée des valeurs.
- Nous y retrouvons Miss Plunkett. Elle doit jouer une « SALOMÉ ».
- Comme celle que décrit Karl-Joris Huymans dans « A rebours » : « Ici, elle était vraiment fille; Elle obéissait à son tempérament de femme ardente et cruelle; Elle vivait, plus raffinée et plus sauvage, plus exécrable et plus exquise. Elle domptait plus sûrement les volontés de l’homme, avec son charme de grande fleur vénérienne, poussée dans des couches sacrilèges, élevée dans des serres impies. » C’est cela ?
- Exactement. Dans le drame en UN ACTE d’Oscar Wilde, Salomé dit à la tête décollée du Baptiste : « Ton corps était une colonne d'ivoire sur un socle d'argent. C'était un jardin plein de colombes et de lis d'argent. C'était une tour d'argent ornée de boucliers d'ivoire. Il n'y avait rien au monde d'aussi blanc que ton corps. Il n'y avait rien au monde d'aussi noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n'y avait rien d'aussi rouge que ta bouche. Moi, je t'ai vu, Iokanaan, et je t'ai aimé… » Ce qui me rappelle : « Ses mains sont des globes d'or, garnis de pierres de Tarsis. Son ventre est une masse d'ivoire, couverte de saphirs. Ses jambes sont des colonnes d'albâtre, posées sur des bases d'or pur. Son aspect est celui du Liban, sans rival comme les cèdres. Ses discours sont la suavité même, et tout en lui n'est que charme. Tel est mon bien-aimé, tel est mon époux… »
- « Le cantique des Cantiques » ? Vous vous faites des idées.

« L’aurait pas un peu pompé Ovide ? »


- Dites : votre grand pote Oscar…
- Oui ?
- L’aurait pas un peu pompé Ovide ?
- Seigneur ! Que voulez-vous dire ?
- Ne faites pas l’Idiot. Quand il écrit : « Ah ! Réalisez votre jeunesse aussi longtemps qu’elle est à vous. Vivez ! Vivez la vie merveilleuse qui est en vous. Ne laissez rien perdre de vos possibilités. Les simples fleurs des collines se fanent mais fleuriront de nouveau. Ce cytise sera aussi doré en juin prochain que maintenant. Dans un mois, cette clématite se couvrira d’étoiles pourpres qui tous les ans illumineront de nouveau la nuit vert sombre de ses feuilles ». Et tout ce qui s’ensuit…
- Bon, et alors ?
- Ben, on retrouve cette idée dans Ovide et son art d’aimer : « Songez dès aujourd’hui à la vieillesse qui va venir; ainsi aucune heure ne sera perdue pour vous. Tant que vous le pouvez, tant que vous êtes encore dans votre printemps, livrez-vous a l’amour; elles s’en vont, les années, telle une eau qui s’écoule; l’onde qui vient de passer ne reviendra pas en arrière; l’heure qui vient de passer, rien ne la fera revenir. Il faut jouir de son âge; il fuit d’un pied rapide et l’âge qui s’en vient n’est jamais aussi heureux que celui qui s’en va. Ces tiges fanées ont été, je l’ai vu, des violettes; cette épine m’a donné de quoi tresser d’adorables couronnes. Un jour viendra où toi, qui chasses tes soupirants, tu reposeras froide et vieille dans la nuit solitaire; ta porte ne sera pas brisée lors d’une rixe nocturne et tu ne trouveras pas au matin ton seuil tout jonché de roses. »
- Ma foi, c’est une inquiétude qui sommeille en chacun d’entre nous et qui croît furieusement avec les années qui s’en vont.
- Certes… Mais dites : cette planche…
- Justement, j’allais vous en dire un mot. La scène se passe dans un lieu de plaisir nommé « L’Ile aux Dames »…
- Tiens donc !

« Nous échangeâmes encore quelques impressions...»


- Ah, mon Dieu, quelle horreur ! Vous exagérez et, avec cette nouvelle publication, vous vous complaisez dans la facilité.

Oooh ! Mais que faites-vous ?


Résumé de la situation. Une petite chanson trotte dans la tête de l’auteur :
« J'abandonne sur une chaise
Le journal du matin
Les nouvelles sont mauvaises
D’où qu'elles viennent
Je garderai pour moi
Ce que m'inspire le monde
Je vais à la fenêtre
Et le ciel ce matin
N'est ni rose ni honnête
« Est-ce que tout va si mal ?
Est-ce que rien ne va bien ?
L'homme est un animal… »
Sans aller jusque là, le moral était au plus bas. Comme le thermomètre. Car, en plus de l’infernale logorrhée des prétendants et des chroniqueurs et à laquelle nul ne pouvait échapper (comme si chacun n’avait pu encore se faire une opinion), le Mistral cognait dur à la fenêtre du Studio situé, selon la tradition, en plein nord. Du coup, l’auteur avait gardé ses bottes de l’armée austro-hongroise et son « AVIREX », espérant que le mythique blouson (celui qui permettait aux gars d’un B17 de survivre, au mois de février 1944 et à 10 000 mètres au dessus de l’Allemagne nazie), avait gardé une partie de ses vertus. En même temps, il songeait…
- « A ce temps où la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui » ? - Demanda-t-elle.
- Voilà !
- Ah, non !
- Savez-vous ce qu’écrivait Henri Philippini dans une page qui m’était consacrée dans son « Encyclopédie de la bande dessinée érotique » : « On peut regretter que ce créateur ne soit pas tenté par une véritable bande dessinée érotique ».
- Et pourquoi ne l’avez-vous fait ?
- Sans doute parce que « Tout doucement, sans faire de bruit / Et la mer efface sur le sable / Les pas des amants désunis »...
- Oooh ! Mais que faites-vous ? Vous me savez pourtant fort chatouilleuse ! (image 1)
- Ahhh ! Mais vos intentions semblent se préciser…

lundi 6 février 2012

Le Père Lachaise


- Je crois plutôt - reprit-elle - que la cause de cette descente aux Enfers de la SOLDE réside dans le luxe de détails avec lequel vous avez représenté certaines scènes sentimentales, appelons cela ainsi.
- Vous croyez ? Je reconnais, rétrospectivement, avoir exagéré.
- J’imagine, en même temps, qu’il faut bien faire l’expérience des excès pour apprendre jusqu’où l'on peut aller trop loin ! Mais... Où sommes-nous ?
- Dans les allées du Père Lachaise. C’est un endroit qui ne m’évoque que de lugubres souvenirs car, quand j’étais enfant, j’étais contraint d’y faire, chaque Jour des Morts, un petit pèlerinage : du coup, je me demande bien pourquoi j’y ai situé une scène !
- Certainement pour des raisons architecturales. Et, même si vous le niez, vous ne dessinez que le Paris de votre enfance ou, plutôt, l’idée que vous en avez gardée. Dites, à ce sujet, Paris : vous n’avez jamais ressenti comme une injustice de n’avoir pas été sollicité pour l’adaptation de certains cycles romanesques dont chaque enquête se situait dans un quartier différent ?
- Pas du tout, quelle horreur ! Il y a toutes sortes de coins dans lesquels je n’ai jamais mis les pieds, ou alors à contrecœur, et il n’est pas question de les dessiner. Ni même de faire allusion à leur existence !
- Comme le Quinzième ?
- Et un tas d’autres. Paris se borne, pour moi, aux Buttes-Chaumont, Saint Germain des Prés et Auteuil .
- C’est assez limité.
- Je suis un type assez limité !

Rue du Cherche-midi


- Si Corey, ce patron de boite de jazz déjà rencontré au coin d'une publication, se baladait du côté de Newark et au volant de sa Bel-Air, Johnnie le saxophoniste rentrait, pendant ce temps-là, chez lui, à Paris. Dans le manuscrit original, il était hanté par des idées noires et songeait à « L’Art de la fugue ». En particulier, à ce contrepoint XIV qui s'arrête brutalement plein milieu d’une mesure. « Sur cette fugue où le nom de BACH est utilisé en contre-sujet, est mort l'auteur », commenta plus tard le fils du compositeur, Carl Philip Emmanuel. Un peu pour écrire la légende, c’est de bonne guerre.
- Richard D. Nolane, eut raison de vous inciter à biffer, dans la version « HUMANOS », cette référence car cela eût découragé les lecteurs à qui l’Art du Contrepoint n’était pas forcément familier.
- De la prétention déplacée, je m’en rends compte aujourd’hui.
- Hélas, profitant du séjour de votre co-scénariste dans le lointain Québec, vous avez replacé l’anecdote dans la version « SOLEIL ». Une semaine après sa sortie, la réédition prenait directement le chemin de la SOLDE !
- Rien ne dit que Bach en soit le responsable.
- Je me souviens que vous étiez très Jean-Sébastien et écoutiez, à longueur de journée, « Le Clavier Bien tempéré » ou les Sonates pour violon... Hum... Où se passe cette scène ? - Demanda-t-elle encore.
- Je crois que le décor de la première image est inspiré d’une cour, rue du Cherche-midi, où les Éditions Oswald, ou NéO, se trouvaient alors… Quant à l’immeuble : dans le seizième, peut-être…
- Que de « je crois » et de « peut-être » !

« BEL-AIR à Newark , New Jersey »


- Cette « BEL-AIR » voyagea, malgré elle, jusque dans la ville de Newark , New Jersey.
- Je me souviens parfaitement de notre rencontre avec ce modèle 1955... Nous marchions, rue du faubourg Saint-Honoré…
- Je n’ai jamais aimé le huitième arrondissement.
- Moi non plus. Ni personne, d’ailleurs. Ce coin suinte d’un ennui mortel. Néanmoins, nous nous y promenions un dimanche après-midi, vous équipé de votre fidèle Rollei 35…
- Ah ! Le petit Rollei 35 : quelle merveille ! Son objectif, un Carl Zeiss Tessar, donnait des images comparables à celles d’un reflex. Ce qui n’est pas le cas des compacts numériques!
- Ne m’ennuyez pas avec vos folles histoires de paires de lignes à résoudre car, après tout, ce ne sont que des bloc-notes. Et puis c’est le seul moyen de vaquer à vos activités d’espionnage sans être inquiété. Bref, cet après-midi-là, vous êtes tombé en arrêt devant cette Chevrolet. Ah, si l'on compte le nombre d'apparitions qu'elle fit, on peut dire que vous avez rentabilisé le coût de la pellicule!
- Rappelons, aux plus jeunes, que la pellicule était , au siècle dernier, le seul moyen d’obtenir des images photographiques en noir et blanc ou en couleurs, selon sa chapelle. Cela se présentait sous sorte d’un ruban d’acétate sur lequel il ne fallait pas poser les doigts car il était enduit, d’un côté, d’une suspension de cristaux d'halogénure d'argent, sensibles à la lumière. Une invention de monsieur George Eastman. A l’origine, c’était un procédé destiné au cinéma et, je ne sais plus qui (longtemps j’ai cru que c’était Leica), a eu l’idée d’en enfermer des morceaux, de 24 à 36 vues, dans une petite boîte métallique.
- La bobine photo était née.
- Et sa raréfaction vient d’entraîner la chute de l’Empire de monsieur Eastman.
- Je comprends votre tristesse: c’est un pan entier de votre existence qui vient de disparaître : celui des Kodak Brownie ou Rétinette !
L’auteur ne répondit rien car, après tout, il avait été un des premiers à trahir LA CAUSE de l’argentique et que le surnom d’ « Infâme » lui eut parfaitement convenu. Même si …

Le réseau City 4x3


- Cela me navre mais je ne suis pas étonnée que vous soyez prêt, moyennant finance, à dessiner des trucs que votre morale condamne ou que votre goût déplore ! Ainsi je me souviens de cette campagne tapageuse que vous aviez réalisée pour les affichages « Marignan »...
- C’était en 1982 : y’a prescription. Et, je l’ai précisé, je ne déteste pas vraiment le quartier de « La Défense ». Sauf que je ne le dessinerais pas par plaisir, c’est tout.
- Mais, pour de l’argent, certainement !
- J’ai des excuses : c’était Byzance, à cette époque, l’ « Advertising ».
- « Main Basse sur la Ville » disait le cartouche écrit de votre main mercenaire.
- Après cette image où je m’étais dessiné devant les tours bâties sur les ruines de ce qui avait été Courbevoie, je récidivai à Lille, près du beffroi de l’Hôtel de Ville puis à Lyon, au pied de Notre Dame de Fourvière. Dans la foulée, je réalisai une 4x3.
- Et même un catalogue grand format, avec des reproductions d’une qualité technique telle que vous n’en aviez jamais eue.
- Je ne l'ai jamais retrouvée non plus!
- Mais dites : êtes-vous certain de ce que vous dites car n’est-ce pas plutôt le célèbre Floc'h qui a réalisé cette campagne publicitaire ?
- Jean-Claude Floch ? RSCG lui demanda d'illustrer, deux ans plus tard, le réseau City 4x3 car c’est ainsi que ça s'appelait… Mais je fus l’initiateur : c’est une chose qui n’est pas assez connue !
- Aviez-vous beaucoup déçu messieurs ROUX & SEGUELA pour qu'ils vont retirent ainsi ce pactole ?
- Sincèrement, avec le nombre de déclinaisons que j'avais réalisées (Il faut y ajouter des tirages de luxe sur Arches satiné pour quelques clients privilégiés), j'avais fait le tour de la question et il convenait de changer de style. Pour « La Ligne claire » par exemple...
- Nous étions très « Ligne claire », à cette époque. Nous avions acheté toutes sortes de sérigraphies ou de beaux tirages, signés Ted Benoit ou Serge Clerc. Et d’autres... Avez-vous toujours celle de l’atelier où était remisé l’« Espadon » ?
- Et même celle de X9. Je ne me souviens plus, par contre, du nom de l’Éditeur mais j’aimais beaucoup ses maquettes.
- Vous avez, sur cette image, réussi à placer votre Bel-Air.
- Un modèle 1955.
- Certains avancent que c'est le modèle 1957 qui est, esthétiquement, le plus réussi.
- Mais c'est sur le premier que nous sommes tombés...
- Fatalitas!

FUTUROPOLIS


- La boutique des Éditions FUTUROPOLIS se trouvait, de mémoire (laquelle est lacunaire), rue du Théâtre. Je m’en souviens car je déteste ce quartier, Grenelle et tout le coin.
- Il fallait donc que vous soyez un inconditionnel des livres qu’ils publiaient alors pour que vous remontiez la rue du Commerce… Oh: mais vous avez conservé toute la collection « Copyright » ?
- Ne me troublez pas : le sujet est « La Véritable Histoire du Soldat Inconnu ». J’achètai le « 30x40 » à sa sortie et ce fut pour moi un choc, mieux une révélation : il y a souvent trois images par page et je me suis dit que, même avec mon style laborieux, je devrais y arriver.
- A réaliser une bande-dessinée avec trois ou quatre dessins par page ?
- Et parfois deux, c’est encore mieux.
- Mais sur cette planche, C'EST FOU, il y en a quatre !
- La première case représente une Chevrolet « BEL-AIR ». Je n’ai pas de goût particulier pour les voitures américaines de ces années-là. Cependant elles sont bien plus agréables à dessiner, avec leurs chromes et leurs enjoliveurs, qu’une voiture contemporaine. Question pratique, une CLIO ou une 207 (mais je pourrais dire une POLO ou encore une FIESTA), c’est mille fois plus raisonnable. Mais le pinceau se fige devant ces amas de tabliers en plastique et ces formes toutes semblables.
- C’est comme les téléphones ?
- Outre que, sur une image fixe, on ne comprend pas immédiatement (et même pas du tout), que le personnage dissimule, dans le creux de sa main, un minuscule cellulaire, un petit parallélépipède noir ça vaudra jamais un « ERICSON U 43 » en Bakélite.
- Y’a pas photo. Quant aux immeubles, la cause est entendue : question vitraux et façades tarabiscotées, la « Tour Nobel » ne saurait rivaliser. Où était-ce ?
- L’escalier se trouvait dans un immeuble du cinquième arrondissement dont j’avais, curieux voire indiscret, poussé la porte. Quant à la façade, je ne m’en rappelle plus.
- Vous voyez : le progrès a des avantages. Avec un compact numérique, vous pourriez consulter les données inscrites par le GPS intégré.
- Mais je ne le dessinerai pas !

Le Parc Beauséjour


- Soit - dit-elle - Vous êtes très fort sur le chapitre des lignes de bus desservant la banlieue ouest et celui des lignes de métropolitain. Sauf que, dans le PLAN gravé dans votre mémoire, la ligne numéro 1 commence Pont de Neuilly et passe encore par la Place de l’Étoile !... Ah, ça, par exemple: c’est curieux ce goût que vous avez pour les objets passés de mode.
- Puisque nous sommes entre nous, je peux vous révéler qu’il y a des raisons visuelles, pratiques mêmes, expliquant ce choix. Prenons l’exemple du téléphone. Ce type…
- Vous !
- Certes mais cela n’a pas d’intérêt. Ce dernier résidant dans le fait qu’avec ce combiné, nous comprenons immédiatement qu’il téléphone. Ce qui ne serait pas le cas avec un cellulaire qui tient dans le creux de la main. Parfois je croise un quidam et je me dis : « Pauv’ timbré : il parle tout seul » avant de réaliser qu’il converse à voix haute, comme s’il était chez lui. Et je me sens soudain gêné d’entrer, tel un intrus, dans la vie de cet inconnu.
- Je comprends. De plus, sur la deuxième case, le personnage cache, avec son autre main, le bas du combiné et l’on réalise qu’il souhaite, lui, que sa conversation reste secrète.
- Voilà.
- Tiens donc: le décor de la troisième image fut filmée dans le film de Jean-François Jung. Chapitre « repérages ». Hésitant, répétant sans cesse « je crois que », à la limite du balbutiement, vous disiez sous l’œil navré du réalisateur : « Sinon, çà, ça se trouve plutôt dans la banlieue parisienne. Ça s’appelle le Parc Beauséjour et c’est sans doute quelque chose qui avait été construit dans les années trente. Il n’en reste d’ailleurs aujourd’hui plus rien… » Déjà ? Pensez-vous que les tractopelles des démolisseurs vous suivaient, pas à pas, pour effacer toute trace de votre passé ?
- Tiens, je n’y avais pas songé.
- Bah! Cela existe dans votre mémoire, c’est déjà ça. Et sur vos dessins dans lesquels il ne manque pas une tuile à ces à ces maisons en meulière. Dites : était-ce bien raisonnable de réaliser des planches pareilles dans le cadre d’une bande dessinée ?
- J’imagine que c’est l’époque qui voulait cela. Est-ce que Philippe Druillet, en réalisant « Les Six Voyages de Lone Sloane », ou Jean Giraud, en dessinant « La Déviation », se sont posés ce genre de question ?... Sans que je me compare, bien entendu, à de tels géants. Cependant, c'est en lisant ce grand livre (il ne fait pas moins de 30 cm sur 40) que je me suis dit: « Tiens, moi-aussi! Moi-aussi je pourrais faire de la BD! »
- Vraiment, « La Véritable Histoire du Soldat Inconnu » de Jacques Tardi: expliquez-moi ça...

« La Défense »


- Ah ! Mais vous trichez : je vous surprends en train de consulter « Google Maps » !
- Et alors ? Je ne suis pas ici pour raconter la vérité (dont chacun donne en somme sa version) mais pour écrire ma petite légende à moi et sans cependant me prendre pour le journaliste de « The man who shot Liberty Valance ».
- Et, à votre avis, lire un « Plan de Paris » dont le numéro de téléphone est TURbigo 89-18 fait plus rêver que ce merveilleux instrument qu’est « Google Maps ».
- C’est une évidence : il laisse à l’imagination cette marge que la réalité lui refuse. Arrivé à ce point, il me faut préciser que ma préférence affichée pour un certain « LIFESTYLE » n'engendre pas l'ignorance ou le dédain du monde tel qu'il est. C'est une pose esthétique et résolument personnelle. Ainsi, le fait qu'il me soit plus agréable de dessiner une femme habillée par Christian Dior (« Dear Christian, your dresses have such a new look ! ») et sortant d'une DS (la vraie) dont un homme bien élevé vient de lui ouvrir la porte, ne saurait être tenu pour la révélation de mes inclinations philosophiques ou religieuse !
- Tout au plus que vous avez une préférence pour les gens bien élevés.
- Et peut-être même l’idée selon laquelle la politesse serait la seule manière de rendre les relations humaines plus exquises que conflictuelles, je l’avoue.
- Dites-moi : ce gentleman écouterait Frank Sinatra et aimerait, mais pas avant dix-neuf heures, les MARTINI DRY ?
- Résolument car tout cela est déjà de la poésie.
- Mais celui-là, baraqué comme un fort des halles, n’aurait aucun penchant pour « When you're smiling » ?
- Allez savoir. Mais remontons la Route d’Auteuil aux Lacs, longeons ceux-ci et obliquons vers le Parc de Bagatelle. Enfin passons le Pont de Puteaux.
- La chanson n’est plus la même.
- Ce mastard, un personnage de Marc Villard, se balade dans ce qui reste des immeubles du côté de la rue Arago.
- Vous semblez bien connaître le coin ?
- En fait, j’ai fait le chemin à l’envers et je suis arrivé au Pont de Neuilly (du bon côté, celui de la Fête à Neuneu et non celui de cette épouvantable ville qui transpire l’ennui d’un dimanche après-midi, même en semaine), alors que la première barre des immeubles qui allait devenir « La Défense » venait de s’ériger : le quartier Bellini…
- Vous n’avez pas l’intention de nous reparler du « Chat » de Granier-Deferre, déjà que le temps est gris ?
- Pas du tout : l’action du film se passait à Courbevoie, rue Louis-Blanc et impasse Dupuis. Bref de l’autre côté de l’Avenue de la Défense de Paris, c’était le nom exact, et je ne m’y rendais, d’un pied, que pour prendre le bus 158. Vous constatez que ma mémoire est intacte sur les faits importants...
- Cette ligne existe-t-elle toujours ?
- Aucune idée et je m'en fiche.

dimanche 5 février 2012

« Le morceau suicidaire hongrois »


« Sunday is gloomy,
My hours are slumberless,
Dearest the shadows
I live with are numberless
Little white flowers will
never awaken you
Not where the black coach
of sorrow has taken you
Angels have no thought of
ever returning you
Would they be angry
if I thought of joining you
Gloomy Sunday »
Rappelons que ce titre est affectueusement surnommé « Le morceau suicidaire hongrois », ayant été composé par un certain Rezső Seress et qu’il traîne derrière lui une sombre réputation, comme celle d’avoir été interdit dans les boites de Budapest, lesquelles craignaient de voir leurs clients se précipiter, après l’avoir entendu, dans le Danube !
- Longtemps - Reprit-elle ce dimanche - quand vous vouliez vous offrir un moment à la campagne, vous preniez, Porte Maillot, le train qui faisait la jonction entre le Pont-Cardinet et Passy.
- J’ai souvent mis en scène ces rames de fer agrémentées de gros rivets. Ici, c’était pour une page de LIBÉRATION, un été du début des années quatre-vingt. L’auteur est sur le point d’être propulsé sous les rails par un double grotesque et malfaisant…
- C’était tout ce qui restait alors de « La Petite ceinture ». Non ! Épargnez-nous vos plaintes et vos lamentations séniles quant à la politique des Élus vis-à-vis du Paris de votre enfance : ces gens-là savent ce qui est bien pour la Capitale et, si l’on écoutait des gens de votre espèce, on sauvegarderait même des serres inutiles. Car « être parisien, ce n'est pas être né à Paris, c'est y renaître ».
- Sacha Guitry, toujours. Continuons alors notre itinéraire. De la Porte Maillot, il fallait moins d’un quart d’heure pour rejoindre Passy.
« Âme, te souvient-il au fond du paradis
De la gare d'Auteuil et des trains de jadis » chantait déjà Ferré.

samedi 4 février 2012

SATURDAY NIGHT


- Commencée en fanfare avec un affirmatif « je me souviens », votre petite histoire a rapidement abandonné la bannière de Georges Pérec pour se fondre dans le SFUMATO d’un « je ne me rappelle plus très bien » que Jeanne Moreau n’eût pas désavoué. Hormis le côté intellectuellement négligeable de son sujet : vous ! Mais ? Avec quoi essayez-vous de vous repérer dans le labyrinthe de votre mémoire : « Plan de Paris par Arrondissement et Communes de Banlieue avec la station du Métropolitain la plus proche », A. LECONTE, Éditeur. Tél. TURbigo 89-18.
- Et alors ? Pour m’orienter dans « mon Paris à moi », quoi de plus adapté ? Il y a cependant un truc qui me turlupine.
- Grand Dieu ! Quoi donc ?
- Où commence Passy ?
- Rue du Ranelagh, j’imagine.
- C’est bien ce qu’il me semblait : j’ai toujours été plutôt Auteuil. Voici donc la Villa Montmorency. Ce lieu alors clôt par des grilles devait se trouver entre l’Avenue des Sycomores et l’Avenue des Peupliers. La première villa était, côté Ligne de la Petite Ceinture, dans un état abominable. Abandonnée, pourrais-je dire : c’est elle (probablement détruite aujourd'hui) que j’ai représentée ici.
- Et on vous laissait prendre des photographies ?
- Dame ! J’étais voisin, la rue Chanez étant dans le prolongement. Et, surtout, j’avais mon petit ROLLEI 35, lequel n’attirait l’attention de personne.
- Et le type qui arrive, c’est qui ?
- Un « SERIAL-KILLER ».
- Vous qui êtes un admirateur du docteur Spencer Reid, vous devriez savoir que ce genre de gars, le « serial-killer », il a pour vertu de se faire complètement oublier.
- Comme le ROLLEI 35 ?
- Si vous voulez, mais en plus nuisible. Ce mec-là, avec son allure et son couteau de cuisine, il a toutes les chances d’être épinglé avant d’arriver à destination ! Cela me rappelle une phrase de votre complice Richard D. Nolane au sujet d’un autre détraqué que vous aviez représenté avec un mépris encore plus total du réalisme: « Il aurait du comprendre que, de se balader en plein Brooklyn avec de la cervelle tartinée sur son costard et en bramant « BRAIN », n’était pas l’idéal en matière de discrétion ! »

jeudi 2 février 2012

PARTY à Manhattan


- Pour la semaine des quatre jeudis,
Écoliers de tous pays,
Inscrivez-vous au parti
De « la semaine des quatre jeudis », disait une chanson crétine qui ne veut plus rien dire. Au fait, saviez-vous que le mot JEUDI vient du latin « Jovis dies » qui désigne le « jour de Jupiter ».
- By Jove : NON !... Ah, ces maudits SCANS me rendront fou.
- Mais n’est-ce pas « Before the Party » ? En ce début des années quatre vingt dix, vous aviez compris que les temps du « NOIR ET BLANC » pur et dur, tendance NéO, n’étaient plus à la mode… Ainsi, pour la réédition des James Hadley Chase, les services artistiques de chez Gallimuche avaient colorisé des extraits de vos dessins, prélevés dans des histoires anciennes. Ils avançaient l’idée selon laquelle ça donnait un sacré coup de jeune à votre esthétique vieillissante. Déjà! Comment avez-vous pu accepter?
- Ma chère, ils étaient suffisamment généreux pour endormir, pratiquement dans l'œuf, tous les scrupules que j’aurais pu concevoir.
- Néanmoins, cheminait dans votre âme mercenaire et sans scrupules que, si vous vouliez échapper à une colorisation « Andywarholesque » de la part des graphistes, vous aviez intérêt à vous barbouiller tout seul à la gouache !
- Disons que ce dessin marque l’apparition de la couleur directe et utilisée en volume. C’était pour le « Hitchcock Magazine » de février 1991. Je ne prenais pas trop de risques, réservant celle-ci, la couleur, à la vue sur New York et en utilisant ces encres Colorex dont j’avais acquis une certaine maîtrise, jadis, bien avant de devenir un spécialiste reconnu de la mort violente…
- Qu’elle soit le fait du petit commerce ou du crime organisé ?
- L’un ou l’autre ! Il s'agissait encore là d'une histoire de couple. Ils se préparent pour une PARTY à Manhattan mais se regardent en coin.
- Le calme avant la tempête.
- Je me représente encore, affublé d’une fausse moustache, pour moins me ressembler (croyais-je sottement) et vêtu d’un TUXEDO acheté longtemps auparavant...
- Dans une échoppe de la Porte de Saint-Ouen, quand nous étions encore parisiens et que nous écoutions...

mercredi 1 février 2012

WEST-COAST


- Houlà ! Houlà ! C’est carrément un chorus qui salue le MERCREDI. Qu’est-ce donc qui vaut, à ce jour, tant de faveur de votre de part ?
- Je me souviens que chaque mercredi, en fin d’après-midi, juste avant que sonne la fin de l’école (et le début de l’étude), une petite bouteille de lait chocolaté nous était servie.
- Vous êtes certain de ce que vous avancez ?
- Je n’en ai trouvé aucune confirmation. Certes j’ai lu que le Président du conseil, Pierre Mendes France, effaré par les ravages de l'alcoolisme, avait décidé la distribution de verres de lait aux enfants des écoles afin de leur donner de plus saines habitudes.
- Mais de là à vous offrir une bouteille de lait chocolaté, c’était du luxe.
- Et avec une paille, s’il vous plait ! Mais le luxe de cette époque s’arrêtait là. Les matins d’hiver, le personnel féminin chargeait en « COKE » les gros poêles ventrus qui se trouvaient au fond des classes. Tout comme il fallait descendre dans les caves afin de remplir de boulets les sceaux à charbon. Je me rappelle l’affreuse odeur du « COKE » et ses noires pulvérulences.
- Mais ce sont les aventures du « Petit Chose » que vous nous racontez là !
- Pas du tout : c’était des années somme toute heureuses. Simples, aussi. Pas d’angoisses existentielles dues aux effets de mode : une culotte courte et une méchante blouse grise réglaient la question. Mais puisque vous me parlez du « Petit Chose », je ne résiste pas au plaisir de vous lire cet extrait où le narrateur parle de son petit frère: « Quant à Jacques, trop jeune encore pour comprendre nos malheurs - il avait à peine deux ans de plus que moi - il pleurait par besoin, pour le plaisir. Un singulier enfant que mon frère Jacques; en voilà un qui avait le don des larmes! D'aussi loin qu'il me souvienne, je le vois les yeux rouges et la joue ruisselante. Le soir, le matin, de jour, de nuit, en classe, à la maison, en promenade, il pleurait sans cesse, il pleurait partout. Quand on lui disait : « Qu'as-tu? » il répondait en sanglotant: « Je n'ai rien ! ». Et, le plus curieux, c'est qu'il n'avait rien. Il pleurait comme on se mouche, plus souvent, voilà tout… »
- Voilà tout.